_Serons-nous encore inondés ?_

Sur le coup de mnidi, entrait, il y a quelques jours, dans mon bureau, la souriante figure de notre Chef du Personnel.

- Il me faudrait un chroniqueur pour le prochain numéro de notre gazette, me dit-il. Comme Monsieur FAYT est actuellement surchargé par la remise en marche partielle de la filature A dans des délais très courts, il vous cèdera volontiers la plume.

- C'est avec plaisir que je l'accepte, mais quel sujet osez-vous me confier ?

- Dans ce domaine, me répondit Mr Willems, vous avez la liberté absolue.

Or,le hasard fit qu'au moment de cette visite, Monsieur DEHOMBREUX et moi étions occupés à compulser toute une série de documents qui avaient trait aux inondations, aux débits de la Senne et aux travaux en cours sur celle-ci à Lembecq.

- Eh bien ! dis-je alors, pourquoi ne prendrais-je pas ce sujet ?

Et c'est ainsi, amis lecteurs et habitants de la vallée, que les circonstances m'ont amené à vous parler de ces désastreuses inondations qui, sans aucun profit pour quiconque, ont déjà coûté quelques millions à la collectivité.

Venons-en maintenant au fait.

Comme vous l'aurez déjà lu dans la presse, le cours de la Senne, dans sa traversée de Bruxelles, doit être détourné vers l' Ouest entre la gare du Midi et la gare de Schaerbeek.

La désaffectation des anciens pertuis situés sous les boulevards reliant le Nord au Midi permettra notamment l'exploitation “en souterrain” des tramways reliant ces deux gares.

Or, pour des raisons que nous ignorons, le nouveau pertuis n'a été calculé que pour absorber 60 m3 par seconde alors que Senne et Sennette, qui se marient près des trois étangs de décantation qu'apprécient tant nos pêcheurs à la ligne, charrient ensemble, lors des plus forte crues, 150 m3 toutes les secondes.(les mesures relevées par l'usine au cours d'une des dernières inondations donnaient environ 60 m3 pour chacune des rivières).

Au risque donc de créer des inondations catastrophiques entre Bruxelles et Hal,il fallait, par un moyen quelconque, évacuer 150-60 = 90 m3 par seconde.

Il existe déjà à Anderlecht, à l'endroit dénommé “Aa”, un premier déversoir capable de rejeter dans le canal 24 m3 par seconde. Il reste donc un excédent de 90 - 24= 66 m3.

Un second déversoir existe en fait, depuis bon nombre d'années, derrière le vieux château de Lembecq, mais il a été tellement mal étudié qu'il n'a jamais pu être utilisé, car son ouverture eut suffi à ensabler en une crue le fond du canal de Charleroi.

L'étude de cette question dut donc être complètement remaniée et il fut, cette fois, procédé en laboratoire à des essais concluants sur modèle réduit.

On décida ainsi de passer à l'exécution, non plus d'un déversoir, mais d'un barrage de 150 mètres de long établi dans le lit de la Senne, barrage qui aurait sur le déversoir l'avantage de permettre une décantation préalable des sables et autres éléments lourds avant la remise de l'eau au canal, puisque seule la couche supérieure du plan d'eau, la moins encrassée, serait soutirée.

En complément au barrage, il est prévu le creusement d'un canal de dérivation de la Senne dont le but est de permettre périodiquement une chasse d'eau violente qui balayera et emportera tout le sable accumulé par décantation devant le barrage.

Le coût total de ce travail est de 32.5 millions.

Comme nous sommes intéressés au plus haut point à tout ce qui peut influencer le régime de cette rivière de malheur, nous tenions à être mis au courant des répercussions qu'aurait ce barrage sur les inondations de l'usine et nous nous sommes rendus au Ministère des Travaux Publics de qui relève le travail.

Nous y avons recueilli une masse de renseignements, peut être très intéressants, sur la réalisation du barrage, mais, pour les points qui intéressaient particulièrement l'usine, nous sortîmes de cet entretien avec la nette impression que l'on avait beaucoup songé à l'aval, c'est-à-dire à Bruxelles, mais très peu ou même pas du tout à l'amont, c'est-à-dire à Tubize. On se contenta de nous laisser espérer, sans plus de précisions, que cela irait probablement mieux.

Il ne nous restait plus qu'à étudier nous-mêmes le problème.

Je vous ferai grâce de tous les détails de cette étude; qu'il me suffise de vous donner les conclusions, auxquelles nous sommes arrivés:

1° La crête du barrage se trouvera à la cote + 34 m.50 (la cote 0 = niveau de la mer);la hauteur du plan d'eau au-dessus de la crête correspondant à la remise au canal des 66 m3 dont il a été question ci-dessus sera de 0 m.35.

La cote du plan d'eau pour les fortes crues de 150 m3 sera donc à + 35 m.85. Pour une crue de 120 m3, elle sera de 34 m.73.

2° Or, les courbes d'inondation relevées heure par heure à l'usine et mises sous forme de diagramme nous montrent que, pour évacuer un débit de 120 m3 par seconde, il faut entre l'usine et Lembecq une dénivellation du plan d'eau de 2 m. 75. Dans les conditions actuelles, à la cote du plan d'eau, Lembecq sera à + 35 m.20 et celle de l'usine Sétilose à + 37m. 95. alors que le pavement du textile se trouve à + 37 m 10.

L'inondation du textile pour le cas qui nous occupe, est donc de 0 m 85.

3° Si, à Lembecq,grâce au barrage, le plan d'eau descendra de 0 m.47 (35 m.20 - 34 m.73), il n'en ira malheureusement pas de même à l'usine - quoique ce serait encore insuffisant - car il faut continuer à assurer, entre ces deux points, le débit total de 120 m3 dans un lit dont la section sera devenue légèrement plus petite du fait de l'abaissement du plan d'eau; ceci implique nécessairement une vitesse plus élevée et qui dit vitesse plus élevée dit aussi perte de charge plus grande (en mots plus simples, différence de niveau entre Lembecq et Tubize plus grande).

La calcul exact de cette perte de charge est absolument impossible à faire à priori, car il faudrait pour cela connaître la vitesse moyenne des eaux, la section de passage et le périmètre mouillé; et comme, à ce moment, interviennent déjà les prairies inondées, nous ne pourrons relever ces chiffres que par la pratique, lorsque le barrage sera terminé.

Ce qui est tout à fait certain c'est que si Lembecq gagnera 80 centimètres dans le cas des crues de 150 m3, nous ne gagnerons à Tubize que 8 ou 10 centimètres au maximum.

4° Par contre, nous gagnerons un peu en temps, c'est-à-dire que l'inondation mettra plus longtemps pour atteindre son maximum; de cette façon, de courtes crues passeront probablement sans laisser de traces.

5° Après ce que nous venons de voir et même si cela était pratiquement réalisable, ce qui n'est pas le cas, l'abaissement de la crête du barrage de 1 ou 2 mètres ne serait pas encore efficient.

L'unique solution que nous entrevoyons réside dans I'augmentation de la section de la Senne et sa rectification entre Tubize et Lembecq, de façon à réduire la vitesse et par voie de conséquence la perte de charge de 2 m. 75 dont il a été question plus haut, afin de nous trouver à Tubize en dessous de la cote fatale de 37 m.10 (textile Sétilose).

6° 11 serait, en tous cas, catastrophique dans les conditions actuelles, de vouloir empêcher l'inondation des prairies environnantes. Il faut, au contraire, viser à augmenter au maximum ces surfaces inondables et à ne pas contrarier }e mouvement naturel de l'eau dans celles-ci.

Mais tout cela est du domaine de l'histoire future et, si tout va bien, nos fils pourront peut-être un jour en parler.

Contentons-nous d'être réalistes et continuons la politique que nous avons adoptée de rehausser toute nouvelle construction (comme nous le faisons pour le nouveau moulinage de l'usine A.) mais encore une fois, ne rehaussons que ce qui doit absolument l'être pour ne réduire qu'au strict minimum la surface inondable.

Enfin, tout cela nous promet encore de < durs réveils > (ceci n'est pas une métaphore) et quelques nuits blanches,n'est-ce pas Messieurs les électriciens et les équipes dévouées des coups durs !

Et c'est dans de telles circonstances que 1'on peut, mieux qu'avec des phrases, réellement mesurer la véritable solidarité qui doit nous unir et, comme le dit la devise, doit faire notre force.

J. VALLEZ

 
etude_de_cas/1953-juin_article_du_journal_de_fabelta_tubize/start.txt · Dernière modification : 2015/01/10 15:31 de 127.0.0.1